Deux sépultures primaires individuelles préparées selon le même schéma : sol corallien creusé puis remontage des parois et des couvertures de coffrages.
L' atoll désert situé à 40 kms au sud de Mangareva aux Gambier est inhabité depuis des lustres. Il a pour particularité d' avoir un patrimoine archéologique tout à fait exceptionnel et sans doute unique en Polynésie, en ce qui concerne les anciennes pratiques funéraires.
Avec tout juste 2 kilomètres carrés de surface émergée, Temoe n’hébergeait déjà pas grand monde avant l’arrivée des missionnaires : 80 habitants environ. Les missionnaires catholiques - qui préféraient garder le contrôle de leurs ouailles au même endroit, à savoir Mangareva - parvinrent à les convaincre de quitter l’île en 1838.
Depuis lors, il n’y a plus âme qui vive sur place, si ce n’est quelques pêcheurs venus pêcher poissons et langoustes dans un lagon poissonneux, mais difficile d' accès car l' île n' a pas de passe et il faut accoster sur le récif frangeant en profitant d' une houle pas trop rude ! Dans l' autre sens, la manoeuvre est encore plus délicate. Cet atoll, abandonné par sa population il y a 170 ans, a été choisi dès 2001 pour des études et des fouilles archéologiques car il a conservé des vestiges monumentaux quasi intacts sans impact de la modernité ni construction récente sur les structures anciennes.
Le paysage archéologique y est miraculeusement intact, les missionnaires ayant détruit ou fait construire leurs églises sur les sites cérémoniels des îles hautes des Gambier.
Ainsi, seul le petit atoll perdu de Temoe, doté de près de 500 structures parmi lesquelles une quarantaine de ' marae ', de 400 monticules coralliens dont une cinquantaine de sépultures, peut encore témoigner des pratiques rituelles anciennes dans l' archipel des Gambier.
Les chercheurs ont systématiquement associé fouilles et préservation, en préservant l' intégrité des structures, notamment les cairns de corail, reconstruits à l' identique à l' issue des fouilles entreprises entre 2010 et 2013. Les ossements découverts ont été remis dans leur position initiale, hormis quelques échantillons prélevés à seule fin de datation et d' analyses ADN. 21 sépultures appartenant à des ensembles monumentaux ont été découvertes et fouillées au cours des deux missions de 2010 et 2013. Celles-ci ont livré les restes de 25 individus dont 11 hommes et trois femmes, dont les ossements révèlent que les corps étaient généralement allongés sur le dos. Mais les chercheurs se sont surtout attardés sur des sépultures atypiques illustrant des pratiques funéraires variées.
Ainsi on trouvera la dépouille d'un homme dont les petits os et parties osseuses du crâne ont migré vers le bas de la structure, ce qui indique qu' ils ont été prélevés après décomposition du corps : cette pratique corrobore les rites funéraires révélés ailleurs sur l' atoll. Cette sépulture humaine comporte aussi des restes de poissons, en particulier ceux d' un poisson-pierre placé dans les mains du défunt.
Au moment de l' inhumation, le sol corallien est légèrement creusé, la dépouille est déposée au fond du trou, puis les parois et couvertures de coffrages sont construites tout autour.
Le prélèvement du bloc crâno-facial dans chaque sépulture indique qu' une seconde intervention humaine est intervenue après décomposition du corps.
Les missions scientifiques de 2010 et 2013 ont permis de découvrir et fouiller 21 sépultures faisant partie d'ensembles monumentaux. De nombreux ossements de fœtus et très jeunes enfants ont été déposés dans les anfractuosités du bloc corallien et associés cette fois, non à un poisson mais à un oursin juvénile.
Quatre missions de terrain supplémentaires ont été menées depuis 2013. Le recours à des analyses d’ADN ancien est envisagé afin de déterminer les éventuelles relations généalogiques entre les défunts inhumés au coeur des mêmes ensembles funéraires et ainsi mieux comprendre les logiques sociales et spatiales entre ces groupes de structures funéraires.
Temoe a de toute évidence une place centrale dans l' ensemble régional.
Entretien avec l' un des archéologues présents in situ en 2013
A la lecture des articles liés aux missions archéologiques entreprises sur l' atoll de Temoe, on a l'impression que celui-ci est un cimetière géant ?
Je ne dirais pas ' cimetière géant ', cela peut donner cette impression car nous avons fouillé et décrit en effet un certain nombre de sépultures associées aux monuments. Mais ce chiffre assez haut est en fait lié à la préservation exceptionnelle des sites sur cet atoll. Dans les autres îles de Polynésie, il y a tout autant, voire plus de sépultures, mais il est plus difficile de les trouver. Car d'une part, certaines ont pu disparaître au cours des deux derniers siècles suite à des travaux d'aménagement, d'autre part parce que les pratiques funéraires anciennes étaient diverses, conduisant à une dispersion spatiale des restes humains tant dans les ' marae ', que dans les grottes et abris sous roche en montagne.
Dans le cas de Temoe, on a affaire à des concentrations de monuments bien préservés auxquels sont parfois –mais pas toujours– associées des sépultures.
Sait-on si les sépultures sont intervenues avant le “contact“ ?
Les sépultures sont en effet pré-européennes. Les dates les plus anciennes remontent au 13e siècle, et les pratiques mortuaires se poursuivent jusqu'au départ des populations au 19e siècle. Les Mangaréviens enterraient donc les morts puis construisaient les monuments de corail au-dessus des sépultures. Dans quelques cas, nous avons identifié des pratiques consistant à des retours, des réouvertures de tombes plus tardives et des réaménagements des sépultures elles-mêmes, impliquant une gestion des morts dans le temps, peut-être sur plusieurs générations. Fœtus, ossements humains, restes de poissons : c'est la première fois que vous voyez ce type d'associations ? A-t-on une idée de ce que cela signifie ?
L'association de certains restes animaux avec des sépultures humaines est loin d'être surprenante en contexte polynésien. Nous avons par exemple découvert aux Marquises des restes de chiens ou de cochons déposés avec des ossements humains dans des abris sous roche. Dans les cimetières côtiers de l' île de Ua Huka, nous avons aussi des vraies sépultures animales, de chiens et de cochons. Il est difficile d'affirmer la réelle fonction que ces associations humains-animaux ont pu avoir, mais il est certain que les traditions orales et les données ethnographiques ont à plusieurs reprises fait mention d'offrandes accompagnant les défunts. Il est donc possible d'imaginer que dans le cas de Temoe, certains poissons ont pu être déposés avec les morts pour les accompagner dans leur voyage de retour vers Hawaiki, le berceau originel dans la pensée polynésienne.
Pourquoi les missionnaires ont-ils convaincu les habitants de partir ?
L'arrivée des missionnaires catholiques à Mangareva marque rapidement la fin des rituels anciens, qu'il s'agisse des cérémonies sur les marae ou les pratiques funéraires jugées “paiennes” par le père Laval et les autres pères. Dans la mesure où ils souhaitaient rapidement convertir la population, il importait de se débarrasser au plus vite de la religion traditionnelle, ce qui entraîna la destruction des ' marae ', par exemple, sur les îles des Gambier. La raison invoquée pour le déplacement, forcé ou non, des habitants de Temoe est tout simplement qu'il fallait éviter d'avoir un petit groupe de “païens” résidant sur l'atoll à seulement 40 km de Mangaréva.
En rapatriant les habitants de Temoe vers Rikitea, les missionnaires s'assuraient ainsi de la bonne marche de leur entreprise évangélisatrice.
Ca fait bien rêver tout ça 😀
Renaissance d' un ' tahua ' à Pererau, Moorea après 10 ans de travaux de rénovation et de consolidation.
Dans la suite logique de l' article précédent, des fouilles archéologiques ont été également entreprises dans l' île de Moorea, permettant à un ' tahua ' de renaître de ses ruines. Commentaire.
A l' issue de près de 10 ans de travaux de rénovation, les vestiges de Pererau à Piha'e'ina dans l' île de Moorea permettent à la population de l' île et à tous les habitants de Polynésie de redécouvrir leurs racines culturelles.
Ce site, sis en contrebas de l' une des petites vallées du mont Rotui, au sommet d' un petit promontoire, est une grande place, l' esplanade des déclamations et des psalmodies, l' espace où veillent les jumeaux Teava et Teavai...
C’est là, sur deux plateformes monumentales de plus de 2 000 mètres carrés au sommet d’un petit promontoire, que les deux ' aito ' faisaient résonner les ' pahu ' dans la vallée. Ce site majeur s'inscrit dans un paysage légendaire des temps anciens qui inclut le ' marae ' Tevairoa situé en haute vallée, le ' marae ' Naonao situé en moyenne vallée et le ' marae ' Atitaihae situé en bord de mer.
Ancienne zone de pâture pour le bétail, le site a été endommagé et délaissé et a souffert de nombreuses perturbations dont la construction d’une piste à proximité.
Le chantier de restauration a commencé en 2010 par un décapage complet. Puis il a fallu abattre de nombreux arbres aux racines envahissantes et dégager des blocs effondrés. Enfin, une fouille à 10 mètres de profondeur a permis de dire qu' il ne s'agissait pas d' un ' marae ' au sens strict mais d' un simple ' tahua ', à savoir un espace non-cérémoniel, une sorte de plate-forme de conseil des anciens ou de terrain de réunion à but politique, public ou ponctuellement festif.
Ce projet a déjà permis de nombreux échanges culturels avec des communautés de Polynésie, mais aussi des associations de Hawaii, des Marquises ou de l' île de Pâques ( Rapa Nui ).